
En 22 ans de carrière, j’ai vu défiler quatorze ministres de l’Éducation. Faites le calcul : en moyenne, un nouveau ministre tous les dix-huit mois. Cette instabilité soulève une question troublante : l’éducation est-elle devenue la patate chaude du gouvernement?

Chaque ministre arrive avec sa vision, sa réforme, son « grand chantier ». Mais bien souvent, il repart avant même d’avoir eu le temps de semer les graines nécessaires pour récolter des résultats. C’est comme si on changeait de jardinier chaque saison, en arrachant systématiquement ce que le précédent avait planté. Le résultat est toujours le même : des réformes avortées, des enseignants fatigués de s’adapter et, surtout, une impression de manque de direction stable pour un secteur pourtant essentiel.
On dit souvent que l’éducation est un dossier sensible. C’est vrai. Elle touche à tou : l’économie, l’égalité des chances, la culture, l’avenir même d’un peuple. Mais parce qu’elle est si vaste et si complexe, elle devient un fardeau politique. Une patate trop chaude qu’on se passe de main en main. Personne ne veut la garder trop longtemps, de peur de s’y brûler.
Et puis une question demeure, trop rarement posée qui a bâti le système? Si on regarde en arrière, on constate que l’éducation telle qu’on la connaît aujourd’hui au Québec prend racine dans les grandes réformes des années 1960, au moment de la Révolution tranquille. C’est l’époque où les commissions scolaires ont pris leur essor, où le ministère de l’Éducation a été créé, et où l’État a repris en main un domaine qui relevait jusqu’alors largement des communautés religieuses. L’intention était noble: rendre l’éducation universelle, gratuite et accessible à tous. Mais les fondations de ce système, pensées pour répondre aux besoins d’une époque bien précise, continuent d’influencer notre manière de voir l’école aujourd’hui.
Alors, est-ce vraiment la vision des élèves, des enseignants et des familles qui se reflète dans ces structures, ou plutôt celle d’intérêts politiques et administratifs qui changent au gré des mandats? J’ai l’impression que l’école est toujours restée coincée entre deux pôles: d’un côté, la volonté sincère de former des citoyens libres et épanouis; de l’autre, la pression de répondre aux exigences économiques et électorales.
Pendant ce temps, dans nos classes, la réalité ne change pas aussi vite que les ministres. Les jeunes ont besoin de constance. Les enseignants, de soutien à long terme. Les parents, d’une vision claire pour leurs enfants. Or, cette succession rapide de ministres crée l’effet inverse: instabilité, manque de continuité et perte de confiance.
Plutôt que de traiter l’éducation comme une patate chaude, pourquoi ne pas la reconnaître comme ce qu’elle est vraiment: le cœur battant de notre société? Un domaine qui mérite une vision partagée, au-delà des partis politiques et des mandats électoraux. Car éduquer, ce n’est pas marquer des points à court terme, c’est investir dans une génération entière.
En tant qu’enseignant, j’ai appris une chose: les élèves ne grandissent pas du jour au lendemain. Il faut du temps, de la patience et de la constance. Peut-être serait-il temps que notre gouvernance de l’éducation s’inspire de cette sagesse simple? On jase là!