Le « Taima » en l’éducation

Il existe des mots qui apaisent. Des mots qui ouvrent des fenêtres sur d’autres manières d’être et de comprendre. Récemment, un de ces mots m’est parvenu d’un endroit inattendu: de ma classe.

Un après-midi, une maman est venue nous rendre visite pour parler de son expérience au Nunavut. Elle a partagé avec mes élèves les réalités du Nord, la culture inuite, les paysages, la vie quotidienne dans le froid et la lumière.
Parmi tout ce qu’elle a raconté, un mot s’est accroché à moi : taima (ᑕᐃᒪ). Chez les Inuit, ce mot signifie simplement : « c’est fini »« ça suffit »« on arrête ». Mais derrière cette simplicité se cache une philosophie entière: celle du respect dans la rupture.

Je m’explique. Au Nunavut, quand une discussion devient trop longue ou qu’une situation n’a plus besoin de mots, on dit taima et on quitte la communication. Pas en claquant la porte, mais en honorant le silence.

Ce mot m’a frappé. Parce qu’en éducation et plus largement dans notre société québécoise nous manquons de taima. Dans notre vocabulaire usuel, Nous manquons de ces petits mots qui permettent de poser une limite sans violence, de mettre fin avec dignité.

Bien sûr, en français, nous avons « stop », « assez », « ça suffit ». Mais aucun n’a la sérénité de taima. Ce mot n’est pas une injonction: c’est un souffle. Une respiration.
Il dit: « Je choisis d’arrêter, non par épuisement, mais par respect. » Parfois, ce sont les langues d’ailleurs qui viennent nous enseigner ce que la nôtre a oublié: la valeur du silence, la beauté de l’arrêt, la sagesse de la mesure.

En ce moment au Québec, le monde de l’éducation traverse une zone de turbulence. Les débats s’enchaînent, les réformes s’accumulent, les enseignants s’épuisent. Et si, collectivement, nous disions taima ?

Taima à la surcharge.
Taima à la gestion déconnectée du terrain.
Taima au programme qui épuise plus qu’elle ne bâtit.
Taima à la peur de dire non.

Dire taima, ce n’est pas abandonner. C’est reprendre notre souffle avant de continuer autrement. C’est choisir la lucidité plutôt que le désespoir, la pause plutôt que la casse.

Je n’emprunte pas taima pour en faire un slogan, mais pour honorer la culture inuite.
Une culture qui a su, depuis des millénaires, vivre en équilibre avec le silence et la parole, avec la nature et le respect des limites.

Et si nous apprenions, nous aussi, à pratiquer le taima dans nos écoles, nos classes, nos réunions, nos gouvernements? Peut-être que ce mot venu du Nord nous aiderait à retrouver un peu du calme intérieur qu’on a perdu dans le bruit du quotidien.

Taima.
C’est fini, mais c’est dit avec respect. Et dans ce respect-là, il y a déjà le début de quelque chose de nouveau.

✍️Fred Jean
Le Cancre Pédagogue: pour une éducation vivante, humaine et compatissante.

Publié par Mr Friday

Je suis enseignant, conférencier, podcasteur et animateur. L'humain me fascine. Mes expertises sont la gestion de classe compatissante et le savoir-être.

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