Combien de fois avons-nous confondu franchise et violence ?

Il y a une frontière qu’on franchit sans s’en rendre compte. Celle entre dire les choses franchement et les dire pour se protéger. Entre être honnête et être blessant. Combien de fois avons-nous cru dire la vérité, alors que nous cherchions simplement à reprendre le contrôle ?
Dans nos classes, nos réunions, nos familles, on valorise souvent la franchise comme une vertu absolue. « Au moins, moi, je dis les vraies affaires. » Mais parfois, cette franchise est une armure. Un réflexe pour éviter de ressentir notre propre inconfort. Alors, au lieu d’éclairer, nos mots coupent. Et au lieu d’ouvrir, ils ferment.
J’ai moi-même déjà confondu les deux. J’ai déjà dit des choses vraies…mais sans amour. Et la vérité, sans amour, devient une arme. Elle frappe juste, mais elle ne guérit pas. Elle laisse une marque.
Le groupe Puscifer a une phrase qui m’habite : « You call it honesty? I call it cruelty with better branding. »
Tu appelles ça de l’honnêteté? Moi j’appelle ça de la cruauté bien emballée.
Il y a dans cette ligne toute la lucidité d’un monde qui confond franchise et brutalité, authenticité et décharge émotionnelle. On finit par croire qu’être dur, c’est être vrai. Mais la vérité n’a pas besoin d’être violente pour être entendue.
Dire à un élève : « Tu n’as pas d’efforts » ou « Tu n’es pas fait pour ça », ce n’est pas forcément faux. Mais sans bienveillance, c’est stérile. Ce n’est pas la vérité qui blesse: c’est l’absence de compassion derrière elle.
La douceur, elle, n’est pas une faiblesse. C’est une autre forme de courage.
Elle dit: « Je vais te dire la vérité, mais je vais le faire sans t’écraser. »
C’est la main qu’on tend au lieu du doigt qu’on pointe.
C’est la lucidité qui s’exprime avec le souci de préserver l’autre, même quand on le confronte.
Dans le fond, être franc ne devrait pas vouloir dire “tout dire”, mais “dire ce qui aide à grandir”.
C’est ça, le courage relationnel.
Celui de parler avec le cœur ouvert, même quand c’est inconfortable.

Alors la prochaine fois qu’on se surprend à dire: « Je suis juste franc », il vaudrait peut-être mieux se demander :
Suis-je franc pour libérer l’autre, ou pour me libérer moi ?
Parce que la différence entre les deux, c’est toute la distance qui sépare une blessure d’une guérison.
Et si on apprenait, ensemble, à faire de la vérité un geste de soin ?
Fred Jean